LAPLACE et le recensement.

Le 30 novembre 1785, LAPLACE lut à l'Académie des sciences un mémoire sur " les naissances, les mariages et les morts..." qui commence ainsi :
La population est un des plus sûrs moyens de juger de la prospérité d'un empire, et les variations qu'elle éprouve, comparées aux évènements qui les précèdent, sont la plus juste mesure de l'influence des causes physiques et morales sur le bonheur ou sur le malheur de l'espèce humaine. Il est donc intéressant, à tous égards, de connaître la population de la France, d'en suivre les progrès et d'avoir la loi suivant laquelle les hommes sont répandus sur la surface de ce grand royaume.
Ce souci avait déjà été partagé depuis très longtemps par les gouvernants puisque 2900 avant J.-C., l'Egypte organisait des recensements systématiques de la population.
Cependant, la lourdeur de ces recensements au regard d'un système administratif qui n'était pas encore très développé, mais aussi son coût, a amené le remplacement d'une connaissance exhaustive par une extrapolation fondée sur l'examen d'une partie de la population. Il s'agira donc de trouver un multiplicateur qui, appliqué à un nombre observé sur une partie de la population, permet d'évaluer la population totale.

Depuis août 1539, François Ier rend obligatoire la tenue de registres de naissances. La technique d'extrapolation en vigueur à l'époque de LAPLACE était la suivante : un sondage était effectué dans un certain nombre de paroisses d'une province, l'intendant notait y = le nombre d'habitants comptés tête par tête, x = nombre moyen des naissances sur les 10 dernières années dans ces paroisses. Ces résultats permettaient de calculer le multiplicateur y/x . Ensuite, pour connaître Y = nombre d'habitants dans une région , il suffisait de connaître X= nombre moyen des naissances sur les 10 dernières années dans cette région considérée et d'effectuer Y = X * y/x.
Ainsi, pour la généralité d'Auvergne, après sondage dans certaines paroisses, y = 25 028, x = 1020,3 donc il avait été conclut que le multiplicateur devait être égal à 25028/1020,3 ~25. Bien entendu, un intendant d'une autre province pouvait contester la valeur de ce multiplicateur dans la mesure où celui-ci dépendait des paroisses sondées, mais aussi des caractéristiques sociologiques de la province. C'est ainsi qu'un secrétaire de l'intendant de Lyon, Louis MESSANCE établit la règle suivante " 25 pour les paroisses de la campagne et 28 pour celles des villes ". En effet ; il remarquait que " les grandes villes renferment dans leurs murs des ordres de citoyens qui ne se trouvent pas dans les petites villes et paroisses de la campagne, tels que les corps ecclésiastiques des deux sexes, les séminaires, les hôpitaux, les collèges et un grand nombre de domestiques de tout genre attachés au service des personnes riches ; et comme ces différentes classes de citoyens vivent dans le célibat, et ne contribuent pas au renouvellement de la population, il est nécessaire d'adopter un facteur plus fort ".

LAPLACE avait déjà travaillé sur une " méthode de recherche de la probabilités des causes constantes par les évènements déjà observés ". Il avait très vite compris que le calcul des probabilités intervenait dans l'estimation de la population et plutôt que de rentrer dans les polémiques très nombreuses concernant la valeur du multiplicateur, entreprit de déterminer le nombre y d'habitants devant être sondés pour " pouvoir parier à 1000 contre 1 que la population de la France ne s'écarte pas de plus de 500 000 âmes de son évaluation par les naissances ".
C'est ainsi qu'avec une technique qui s'apparente avec celle du théorème dit " limite centrale ", il détermina la taille y = 750 000 habitants, de l'échantillon à sonder.
Il était ainsi un des premiers à tenter de justifier mathématiquement les estimations auxquelles les instituts de sondages nous habituent aujourd'hui. La nécessité de ces justifications pour le dénombrement de la population par les naissances s'est peu à peu amoindrie puisqu' avec le développement de l'administration, des recensements exhaustifs se mettent en place et l'année 1801 voit la réalisation simultanée de recensements en Angleterre, au Danemark, en France et en Norvège. Ceux-ci deviendront réguliers depuis et la méthode du multiplicateur bientôt abandonnée.
Cependant, des bruits courent que 1999 serait la dernière année où s'effectuerait un recensement exhaustif…Le fantôme de LAPLACE resurgirait-il 250 ans après sa naissance ?….

Résumé inspiré des textes parus dans " Estimation et sondages " Cinq contributions à l'histoire de la statistique Michel ARMATTE, Bernard BRU, Pierre CREPEL, Alain DESROSIERES, Philippe TASSI Collection ECONOMICA


Jean Lejeune


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